Le clivage entre la gauche et la droite est-il toujours une approche pertinente et structurante dans l’analyse du débat politique ? Est-il a fortiori une clé dans la détermination de la stratégie des acteurs politiques ?

C’est à ces deux questions que je voudrais tenter d’apporter quelques réponses. Cette tentative est toute personnelle, elle n’engage que moi et mes émois, mes expériences et mes constats. Et surtout mes espoirs.

Les années septante : gauche, droite, même combat. Le front uni du déni. il faut bien le reconnaître : les écologistes ont été parmi les premiers à remettre en cause la pertinence de la dualité gauche-droite comme unique et ultime étalon de décryptage des rapports de force qui traversent la société et surtout d’analyse et de compréhension des véritables enjeux et défis que celle-ci doit affronter.
Il y a à cela une explication évidente : dès leur émergence, sous forme associative dans les années septante, sous forme politique dans les années quatre-vingt, les écologistes se sont heurtés à un front uni du déni.

Si, à leur émergence sur la scène politique, les écologistes ont inauguré la formule du « ni-ni », la raison n’est autre que le fait qu’ils avaient le sentiment de se trouver devant un seul adversaire : le productivisme, religion également partagée par tous les partis de l’époque, de gauche comme de droite, d’extrême-gauche comme d’extrême-droite.
Pourquoi les historiens et politologues, qui se penchent volontiers sur l’émergence des partis verts en Europe, n’examinent-ils pas quelles furent, durant des années les réactions des partis traditionnels à cette émergence et à ce qu’elle exprimait ?

A mon souvenir, mais je laisse le soin aux spécialistes de me détromper, la réaction fût à chaque reprise sur la rime du déni-mépris et ce, quelque soit la question : le nucléaire et la politique énergétique, la participation des citoyens, l’assainissement des pratiques politiques (financement, cumul), la politique agricole, la dévalorisation constante de la valeur travail par rapport à la valeur capital, les relations Nord-Sud, l’égalité hommes-femmes, le pacifisme, etc, etc.

Times are changing, the world too, but so slowly
Donc, on le lira plus loin, Henri Goldman n’a pas tout à fait tort (ni tout à fait raison non plus) : les écologistes ont quelque peu pataugé, je dirais plutôt évolué, dans leur positionnement sur l’axe gauche-droite.

Il doit être d’ailleurs remercié pour sa brillante exégèse des diverses phases et épisodes de ce positionnement.

Pour ma part, afin de régler la question, je me suis toujours senti comme un écologiste de gauche, progressiste et laïque. Voilà, c’est dit.
Replongeons-nous dans ces époques, somme toute pas si lointaines.

Pour ceux qui comme moi sont nés en politique par l’écologie, l’histoire de ces trente dernières années est jalonnée de moments forts et de croisements de destins déterminants.
Je crois, modestement, que mon cheminement personnel pourra aider le lecteur et la lectrice à mieux comprendre la partie plus théorique qui suivra dans cet article.

Mon premier choc a été la découverte des auteurs de science-fiction qui, dès les années soixante nous annonçaient, sous la forme métaphorique, l’implacable logique mortifère qui se trouvait en germe dans nos façons de penser, de se définir, de travailler, de consommer, de gérer nos conflits et de vivre notre citoyenneté d’humain.

Puis vint la découverte des auteurs anarchistes-libertaires et anarcho-syndicalistes, merci José. Bakounine, Kropotkine, … qui, dès le 19ème siècle, dénonçaient la double machoîre qui écrasait le « monde d’en-bas » : l’Etat (garant de l’ordre et des privilèges) et le patronat (arc-bouté sur l’Etat pour assurer la rentabilité de ses activités,
quelqu’en soit le prix humain).

Ensuite la rencontre avec l’associatif : les « Amis de la Terre », principalement, lors de leurs campagnes « Nucléaire, non merci ! ».

Enfin, Ecolo, aboutissement des plus logiques de ces chocs et émois.

Il y a une constante dans ces étapes, c’est le fait de s’être heurté à un front uni, un front gauche-droite communiant autour du déni et de l’aveuglement. Les écologistes n’ont longtemps trouvé face à leurs alertes, à leurs revendications et propositions qu’un mur homogène de partis soudés autour d’une même illusion, arc-boutés sur leurs certitudes immuables : produire et consommer sans cesse plus, sans un regard pour les coûts écologiques et sociaux.

Mais, encore qu’elles puissent offrir un précieux éclairage, on ne fait pas de la politique avec des exégèses, ni avec des postures personnelles.
On fait vraiment de la politique en réussissant à réunir une foultitude de personnalités disparates, aux origines, convictions philosophiques et histoires diverses autour d’un projet commun, fédérateur, mobilisateur. En constituant peu à peu des réseaux non-partisans mais convaincus autour de ce projet. Un projet susceptible de peser sur le cours des choses.
D’où la question : ce projet commun des écologistes est-il de gauche  ? Et qu’est-ce qu’être de gauche aujourd’hui ? Et puis, tant qu’on y est, qu’est la gauche en Europe actuellement ?

Oui, ce projet écologiste est de gauche. Pour une raison fondamentale d’abord, c’est qu’il s’inscrit dans la tradition de la modernité démocratique ouverte à l’époque des Lumières.

Mais en même temps, il est de gauche parce qu’il renouvelle et complète d’au moins cinq manières différentes ce projet.

En gros, je n’ai pas changé d’avis par rapport à ce que j’écrivais en 1995 dans les Cahiers Marxistes :

  1. L’écologie politique remet en question le rapport traditionnel de la gauche à la science et au progrès, sans être anti-scientifique, mais en remettant la démocratie au centre des choix techno-scientifiques.
  2. L’écologie politique refuse le mythe de la croissance et le culte que les politiques lui font en soutenant la production et la consommation de tous les biens, quels qu’ils soient, sans prendre réellement en compte l’impact sur l’environnement.
  3. L’écologie politique réintègre la nature dans le politique, comme une question sociale au sens fort.
  4. L’écologie politique a une conception forte de la démocratie qui ne réduit pas celle-ci à l’acte de voter mais qui table sur la participation et le rejet de toute forme de clientélisme.
  5. Mais aujourd’hui, en 2008, j’insisterai sur une cinquième dimension qui m’apparaît de plus en plus clairement : le temps.

Les socialistes et les sociaux-démocrates sont figés dans une sorte d’intemporalité, comme si l’humanité avait l’éternité devant elle. Même le plus moderne des socialistes me semble encore aujourd’hui s’inscrire dans une perspective de patience, comme si on pouvait encore
attendre des siècles avant d’agir.

Par contraste, les écologistes sont totalement impatients. Ils voient beaucoup mieux l’urgence de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

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