Au bout de ce chemin trop court

Jacky, ça fait juste une semaine que tu as lâché les amarres. Une semaine qu’on parle de toi, un peu partout, dans les milieux les plus inattendus.

Ce que tout le monde t’attribue sans aucun bémol à la clé, c’est d’avoir construit puis fait débouler notre projet sur la vraie scène politique, sur le terrain des autres, de l’y avoir fait reconnaître sans attaquer leur légitimité à défendre le leur. Ce n’est pas arrivé par hasard. C’est le fruit d’un vrai travail mais aussi d’un immense réseau de confiance et de respect que tu as tissé au fil de toutes ces années.

La diversité des horizons qui nous rassemble aujourd’hui en est le témoin.

Merci à tous d’être là.

Parler de toi, Jacky, de ces années de complicité. Te parler à toi. Sans rire et sans pleurer. Ca ne va pas être facile.

Tu avais l’allure, l’aisance et le regard d’acier d’une star de cinéma. Tu étais rodé aux médias et à la tribune du Parlement, féru de rhétorique et de répliques bien ciselées. Une sorte de Michel Audiard de l’écologie, avec une petite pincée de mauvaise foi et une grosse dose de conviction.

Ta plume était aussi acérée que ton verbe. Un communiqué à écrire ? En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, tu dégainais un de tes stylos et laissais s’en échapper ta belle écriture. Les phrases qu’elle dessinait sur la feuille blanche se faufilaient élégamment sur les lignes.

Entre les lignes, les idées faisaient échos aux mots. Elles étaient justes et claires. C’était un aussi grand plaisir de te lire que de t’entendre. Bien des années plus tard, ton blog, tes textes, tes analyses demeurent des leçons de sens, de politique et de style.

Pour faciliter mon parcours d’intégration wallon et pas seulement liégeois, tu m’as offert comme cadeau d’accueil un sous-main plastifié reprenant la carte de Belgique. Surtout pour sa partie sud évidemment.

La contamination a marché, dans ce sens en tous cas. Je ne suis pas sûre qu’elle ait marché dans l’autre. Ni notre cher Wilfried Bervoets – que tu iras aussi saluer au passage en arrivant – ni moi, n’avons réussi à te faire goûter les subtilités de la langue de Vondel, la culture de l’autre moitié de la carte et celle plus hybride encore de la capitale.

Tu étais aussi explosif et génial que moi pragmatique et intuitive.

Il vaut sans doute mieux que les murs de la rue du Séminaire ne puissent jamais raconter les portes qui claquent, les conversations, fous rire et coups de fils croisés depuis nos bureaux en vis-à-vis, ou nos petites stratégies à la veille d’un budget du parti pour emballer ou retourner comme une crêpe l’une ou l’autre régionale un peu récalcitrante. Reconnaissons que quelques fois, la crêpe a collé à la poële, ce qui nous obligeait à revoir autant la recette que ses proportions.

Cette petite cuisine, nous la mijotions avec l’autoritaire mais bienveillante complicité de notre chère Françoise. Smaïl, Pierre, Sabine, Brigitte, pas encore Sandra (n’oublie pas non plus de passer la voir et remercie là encore) s’en souviennent. Eux et tous les autres qui sont passés dans cette maison. Eux et nous qui nous interrompions le vendredi soir pour nous coller à la télé quand tu passais dans « A bout Portant » chez Alain Gerlache, émission que nous considérions à l’époque comme une sorte de baptême du feu médiatique.

Mais il y avait aussi la grande cuisine, celle qui ose et qui innove. Avec ton vent dans nos voiles, nous avons peu à peu construit les étapes qui, après quelques solides coups de roulis et de tangage, nous ont finalement menés aux Etats Généraux de l’Ecologie politique. Dans le même temps, à la Chambre, la Commission d’enquête sur les disparitions d’enfants révélait son lot d’erreurs et de responsabilités. Moins médiatique mais non moins importante, la Commission Rwanda mettait elle aussi au grand jour les responsabilités politiques à la veille du génocide. Ton job, notre job, c’était de garantir qu’on reste cohérent. Mettre le doigt sur ce qui fait mal. Sans complaisance mais en évitant les dérapages et les récupérations. Faire des recommandations crédibles.

On travaillait tous beaucoup. On avait un sentiment d’urgence. On donnait le meilleur de nous-mêmes.

Les troisièmes mi-temps étaient souvent plus longues et en tous cas plus arrosées que les deux autres. Presque toujours animées, joyeuses, parfois orageuses. Et quand il fallait ramener l’église au milieu du village, José et toi me permettont l’expression, pendant que toi tu agitais les cloches et accueillais les mécréants, moi je rassurais les fidèles.

Et puis l’humour, toujours l’humour. Le brillant, le talentueux. Celui de Desproges dans le Tribunal des Flagrants délires. Tu te rappelles ? Le rire qu’il qualifiait de « politesse du désespoir », de «  sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité (…) qui peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles ». J’espère vraiment qu’il t’a accompagné ces dernières semaines. Tu excellais dans cet humour-là, celui qui met à distance, camoufle les fragilités et les blessures. C’était ton côté un peu macho italien, tiré à 4 épingles, qui assure mais qui garde les émotions enfouies bien loin, bien cadenassées.

Le délicieux petit Tom qui dodelinait de la tête quand tu lui faisais écouter « Gare aux gorilles » dans cette belle maison de vacances du Lot, alors qu’il avait à peine un an, avait déjà trouvé les clés du cadenas pour leur ouvrir la porte. Le 28 aout 1999, quelque part en Croatie, le verrou a définitivement sauté.

S’il y avait l’humour, il y avait aussi l’amour. Celui de ta maman Marcelle, si fière de toi, qui préparait – et prépare sûrement toujours aujourd’hui – les meilleures pâtes du monde sur les hauteurs de Liege. J’ai pu en juger avec délice et j’en reprendrais bien volontiers.

Alors Jacky, au bout de ce chemin trop court mais qui t’a souvent semblé long ces dernières années, il y a au moins une chose qui nous apaise : c’est de savoir que le vent emportera des poussières de toi, au creux de l’ombre de celle qui t’a tant manqué. On en gardera chacun quelques unes, dans nos vies, nos engagements, nos batailles.

Et comme disait Desproges : Françaises, Français, Belges, Belges, Territoires d’outre-Mer, territoires d’outre-Père, Mesdames et messieurs les jurés, Public chéri, mon amour. Bonjour ma colère, salut ma hargne, et mon courroux… coucou.

Ciao Jacky.

Isabelle Durant